Jour après jour, je viens à ta porte

Il te faudra de la vigilance lorsque que tu ouvriras un livre rangé depuis très longtemps. Il a été posé là, déplacé peut-être, d’une étagère à l’autre. Il a fait partie de tes choix de vie tout autant, ce que tu as gardé, ce que tu as jeté, tous ces décisions que tu as dû prendre durant la traversée. Tu en as sacrifié quelques uns à la sortie de l’enfance et tu en as sanctifié d’autres qui n’étaient pas à toi. Tu les as reçus, ils sont encore là tandis que tes aimés s’en vont, taillant la route par leur absence. Qu’ils soient morts ou plus simplement partis, ils t’ont quitté. Et le livre est un don de reconnaissance, une pensée qui s’attarde au bord du coeur et des yeux. Ta main le saisit sur l’étagère et ta mémoire se renouvelle. L’ouvrir avec délicatesse est un hommage aux disparus. Il y a là une attention très tendre et peut-être un peu inquiète. Parfois il ne contient rien d’étonnant, ce sont de simples feuilles calligraphiées qui racontent des histoires. Et cette histoire pourrait ne plus t’intéresser. Il arrive cependant qu’en feuilletant le papier quelque chose surgisse qui n’était pas prévu. Une carte postale datant du temps où nos mémoires étaient encore offertes par des mains d’hommes et de femmes. Une lettre absolument oubliée à cause de la douleur, une photo pimpante et ensoleillée d’un paysage marin ou d’une cathédrale, une petite photomaton laide et grise, te sautent au-travers des yeux jusqu’au cœur. N’oublions pas la fleur séchée, souvenir d’une grand-mère ou d’un joli-cœur, tartines et chocolat, le petit Casino avant la plage, les bretonnes marées, « la plage sous les pavés » comme on disait alors.

Tes mémoires sont de si jolies poupées russes !

Chaque livre est un ouvrage, une boîte aux trésors, une malle de voyage. Chaque livre est aussi un coffre-fort, une cage fermée.

Ton existence est onirique et les oiseaux sont au ciel. Parfois la photo est vivante, le paysage incroyable et tous les gens sont beaux. Incroyablement et très parfaitement présents, avec leurs visages tout ouvert et leurs regards droits devants vers nous. Celui qui fixe le temps, celui qui pose, celui qui regarde, tous ces petits mondes ne font qu’un. Alignés, tellement vivants, c’est la Présence. La magie de l’instantané quand il devient Créateur. Quelques secondes et vous voilà éternels. Le mythe d’Icare sans la malédiction, l’envolée sans la chute, l’eau forte d’un peintre inconnu.

Parfois c’est la carte ou la photo qui tombent. Tout ça chute sur le sol et c’est imprévisible. Voilà qu’une Vie glisse à terre. Une date, une signature et quelques mots comme de petites flammes, une brûlure douloureuse, un torrent, une tempête. Ou peut-être une douceur, voyelles et consonnes enfin réunies, des bonbons disparus, du sucre collé au fond de la mémoire pour garder le cœur. Ah ! Reçois le don des larmes comme la reconnaissance de la trace laissé par l’auteur. Laisse-toi traverser par la grande émotion qui vient maintenant éclairer toute la Grâce que tu avais choisi d’ignorer. Laisse-toi porter, oui, car les grandes ailes du pardon sont pour toi. Laisse-toi prendre à la petite ficelle de la mémoire, aucun lien n’est brisé, tout est toujours éternel. Entre les « vivants » et les « morts », les « vivants » et les « vivants », tout est toujours là, à portée du Souffle. La carte, la photo dans le livre, le livre dans la bibliothèque, la bibliothèque dans la maison, la maison sur le territoire, les frontières installées, tout ira en s’effaçant.

Essaie de ne pas l’oublier.

Tes choix de vie te regardent, je veux dire qu’ils te regardent en face et t’interrogent. Ta mémoire n’est rien, ton souvenir est léger. Tout s’en va vers une tendre poussière.

Aussi, je te demande, quelle trace marquera le pas de ton chemin pour celui qui te suit ?

 

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