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C’est là mon chant

Je voudrais que chaque petite chose de la vie soit une fête. Une foraine, une très grande, une incroyable noyade vers des eaux profondément amicales.

Je voudrais que chaque heure soit comme un petit bijou, un foulard de soie précieuse et tendre, enroulé autour de nos mains.

Je voudrais que chaque minute soit un battement de cils noirs et doux, du petit velours en mouvement, comme une aile de moineau.

Peut-être voudrais-tu le monde comme une fête mais les fêtes sont provisoires et le monde est vain.

Peut-être attends tu des voyages, du sable, une mer vivante et ronde pour que le monde tourne rond. Mais les voyages sont incertains et le monde se défait.

Nous voudrions que chaque jour soit une fête, oui. Un chapelet de toutes petites minutes posées comme des couleurs sur nos manteaux. Alors nos pas seraient sûrs, nos cœurs entiers et nous pourrions danser. Je mettrais mes froufrous et mon joli chapeau. Tu porterais ton bel habit, tu serais très beau. Nous vivrions tous dans des manèges tournoyants, le monde aurait enfin la tendresse que tu attends. Les enfants seraient nourris et les guerres emportées. Les flammes seraient pour les vivants plus que pour les morts. Il y aurait de la joie dans les enterrements car c’est encore la Vie qui te reprend.

Il faudrait que tu fasses de chaque instant une petite fête. Sans crier, discrètement. Tu me diras comment fêter la maladie, la soif et les tourments ? Comment passer de la lumière étincelante au blanchiment de l’aube ? Tu penseras qu’il faut être innocente, et très sûrement naïve, pour croire à l’azur quand passent les canons. Tu croiras sans doute à ce que tu vois seulement. Et ce que tu vois, c’est la misère, le doute et l’effroi. Les fins d’automne, le gel et les grands froids. Tu cours derrière la fin du monde, l’argent, de glorieuses mémoires et ton nom sur les rues. Tu cours après ton ombre. Nous laisseras-tu quelque chose, toi qui ne fait que passer ? Un geste héroïque ou un simple baiser ? Une prière, un chant, ou un petit bouquet ?

Il est impératif que tu fasses de chaque moment une grande fête incroyable. Ça n’est pas optionnel, c’est même obligatoire, si tu veux mourir en paix. Et même plus, si tu veux la Paix avant ta mort. Je veux dire si tu veux vivre. L’existence est monotone, incolore et médiocre si tu ne brûles pas.

Le quotidien est fade et brumeux si tu ne te réveilles pas.

Tu voudrais chaque jour comme une petite fête mais tu dors encore et ta souffrance est vive. Si tu descendais jusqu’à Toi, dans tes profondeurs, tu rencontrerais la pépite, la semence. Tu toucherais à l’origine du monde, à la résurrection du Verbe. Tu aurais l’intelligence. La sagesse en toi remplacerait la force et les combats. La Paix pourrait te trouver et peut-être nous aussi. La tendresse remplacerait la douleur et les tristesses s’éloigneraient. Tu les saluerais de loin, comme on salue celui dont on ne sait pas le nom.

Tu sortiras de l’enfer car l’enfer est sur la terre et le paradis est en toi. Viens et vois. Tu auras la victoire, les anges et la barbe à papa. Tu pourras tendre la main et nous prendre avec toi.

Quoi de plus simple, quand on y pense.

 

 

 

 

Aimer l’autre et le quitter quand même

Vous avez de l’amour une fausse perspective, une sorte d’engouement étonnant quoi que compréhensible. Bercés que vous êtes par les films romantiques estampillés « pour toujours», nourris au sein d’Anna Karénine, coloriés de toutes les nuances de gris envisageables, vous avez de l’amour autant de connaissance qu’un bonbon collant attaché à son papier.

Livrés à vous-mêmes dans un monde qui oublie souvent d’être tendre et drôle, vous développez une sorte de sentimentalité qui est à l’amour ce qu’un nounours est à l’enfant perdu. Aliénés par ce besoin compulsif – et parfois légitime – d’être vus, embrassés, touchés, reconnus, emportés, validés, vous oubliez de grands morceaux de vous-mêmes et comptez sur l’autre – ou les autres – pour remettre de l’ordre dans votre foutoir. Pour la plupart inconscients de la richesse intérieure qui sommeille en vous, vous vous galvaudez à tout vent. Et quand la tempête fait rage, vous vous noyez.

Je rencontre souvent de ces petits radeaux perdus en mer avec, posés dessus, quelques restes d’une relation brisée. De minuscules coquilles de noix, des emballages déchirés, prennent la mer comme de jolis vestiges.

De quoi sont faites les amours dysfonctionnelles ? Combien d’histoires dont on ne voit pas la fin ? La perte est si terrifiante pour l’enfant que vous êtes encore que tout vaut mieux, et même la noyade, plutôt que de quitter le navire.

Combien de couples accrochés l’un à l’autre, tellement soudés qu’on ne discerne même plus le lien qui les unit ? Combien de confortables et médiocres relations tenues par les habitudes et la peur du vide ? Une sorte de siamoise symbiose. Et tu ne sais même plus où finit le corps de l’un tandis que l’autre ne respire déjà plus. Comme s’il fallait attendre une douloureuse agonie avant que de remettre un peu d’ordre et piétiner ce qui reste d’honneur et d’intégrité personnelle. Est-ce le prix à payer pour prendre la mer et se permettre d’être libre ? Doit-on vraiment détruire ce que nous appelons « l’amour » avant de s’en aller ? Serait-il envisageable de ne pas être tout abîmé avant de prendre la porte ? Serait-il possible de garder quelques petits Polaroïds entretenus avec conscience ? Partir en aimant encore, et même de manière infime, permet de souhaiter à l’autre un peu du meilleur de la vie. Et n’est-ce pas justement la plus belle preuve que nous pouvons poser derrière nous ?

Un peu de conscience de qui je suis, un peu de reconnaissance de qui tu peux être et même si je t’aime encore, je m’autorise à te quitter. Et même si tu as pour moi encore quelques tendresses restées cachées, je t’autorise à partir. Avant de mourir empoisonnés, autorisons-nous à prendre l’air. Personne ne mérite la mort lente, indigne et méprisante, d’un amour amer et parfois meurtrier.

Parce qu’aller vers la Vie, c’est tout ce que l’Amour demande.

 

 

A l’aube, qu’attends-tu ?

Si tu cherches l’éternité, ne sois pas un voleur, n’entre pas par effraction car ton inattention ne peut nourrir ce qui, en moi, aspire à la vérité. Le plaisir est aussi éphémère qu’un papillon de nuit. Il se promène en silence, imitant la dangereuse promesse de l’amour. Il fait croire à l’absence, à la fausse consistance du manque quand nous ne cherchons que nous-mêmes.

Toutes ces petites fenêtres, ces ouvertures fabriquées de mains d’hommes, ne valent pas la déchirure d’un coeur tout entier. Que crois-tu savoir de moi quand tu ne te connais pas toi-même ? De ta vie les dieux restent absents et tu les poursuis sans conscience autant que sans bruit.  M’apprendras-tu par la souffrance le prix de mon relèvement ? Ton plaisir est-il suffisant pour construire la joie sans que je doive changer pour te plaire ?  De quel chant devras-tu me satisfaire et m’honorer pour que je te supporte quand la couleur de mon ciel aura disparu ?  Seras-tu mon ami toi qui ne l’a jamais été ?

Quand nous aurons consommé imprudemment le plaisir avant que d’avoir appris à nous connaître, est-ce vraiment le bonheur qui s’acharnera sur nous ? De quels innocents enfantillages seront faits nos prochains matins ? Mon amour, le temps est changeant et je crains la légèreté de notre embarcation par mauvais temps. Et s’il est vrai qu’il n’y a plus de saisons comment nourrir l’amour dans les tempêtes ? Ah compte avec moi nos petits grains de sable,  tous les morceaux de verre sur lesquels nous devrons bientôt apprendre à marcher. Ils sont faits de l’inconscience du jour qui se croit neuf quand nous n’avons simplement pas vu la douce petite pente qui reste à venir. Tous ces élans qu’on envoie, ces feux follement éphémères, ils éclairent nos chemins quand nous nous retournons. Est-ce par-dessus ton épaule que je verrai le commencement du jour avant que l’oiseau ne se mette à chanter ?  Nos fins ressemblent à nos commencements, nos chagrins à nos très tendres envoûtements personnels.  A l’aube, qu’attends-tu, qui ne scintille déjà à l’horizon ? A l’aube, que crois-tu qu’il nous restera de la profondeur de la nuit ? De la légèreté de ton sommeil et du souffle de tes flancs ? Un baiser, peut-être, avant les déserts et les vents.

Laisse-moi te demander, une toute dernière fois, à l’aube, ce baiser sera-t-il suffisant ?